Une étude est en cours

Très souvent, la présence d’une meute de loups dans un territoire est perçue comme une menace sur l’élevage, surtout quand des évènements mettant en cause des dizaines de têtes de bétail tuées laissent supposer que ces prédations massives sont la norme. On parle alors de « points chauds » de prédation. Or, ces attaques ne concernent pas tous les élevages et, généralement, ne sont pas récurrentes d’une année sur l’autre . Mais qu’en est-il des « points froids » où la prédation est occasionnelle et n’engendre généralement que des pertes limitées ? Si les secteurs d’attaques massives focalisent l’attention, peu d’études ont finalement été menées dans les secteurs où la prédation est faible. S’agit-il d’exploitations particulièrement bien protégées ? De secteurs où les meutes de loups disposent d’abondantes proies sauvages ? De secteurs fréquentés par des individus en dispersion, généralement juvéniles, moins bons « chasseurs » que les individus constitués en meutes subissant peu de prélèvements légaux ou illégaux ? D’un peu de tous ces facteurs à la fois ?

C’est pour répondre partiellement à ces questions qu’une étude lancée en 2022 est en cours dans un secteur de montagne méditerranéenne, la montagne Sainte-Victoire près d’Aix-en-Provence, couverte d’un boisement de garrigue et de falaises calcaires, paysage assez éloigné des représentations habituelles de forêts et pâturages alpins dans lesquels sont souvent photographiées et suivies les meutes de loups françaises.

Loup gris pris à l'appareil photographique automatique sur le site de l'étude © Florian Poulard

Méthodes utilisées sur le terrain

Un réseau d’une vingtaine de pièges-photos a été installé au sein des 25 000 ha du massif dans le but d’estimer l’abondance des grands ongulés et suivre les meutes présentes. En les disposant parmi un quadrillage de carrés de 2x2 km, les appareils ont été régulièrement espacés, condition pour avoir une estimation solide des abondances de grands mammifères. Parallèlement, des itinéraires de 8 km de long en moyenne sont parcourus plusieurs fois par mois pour y collecter, grâce à une chienne éduquée pour trouver des excréments de loups, des échantillons ; ceux-ci sont alors prélevés avec un écouvillon dans le but de génotyper les individus et connaître leur régime alimentaire par metabarcoding.
Enfin, des enquêtes ont été réalisées auprès des éleveurs locaux de chèvres et de moutons, des sociétés de chasse et des principales associations de randonneurs pour connaître la perception qu’ils avaient de ce grand prédateur.

© Florian Poulard

Résultats

La composition des meutes, leurs territoires et leur régime alimentaire sont désormais assez bien connus et donnent pour la première fois des éléments de l’écologie de l’espèce en France méditerranéenne.

Ce projet a été rendu possible grâce à un financement initial de la Fondation Prince Albert II de Monaco et du département des Bouches-du-Rhône ; reconduit en 2025-2026 avec la participation de l’Etat dans le cadre du Plan National d’Actions, il est intégré dans le projet METRA II (Meutes, Environnements, Territoires, Régime Alimentaire) coordonné par Gilles Rayé, et s’intègre dans une étude plus large qui comprend également les massifs de la Sainte-Baume (Var), du Diois (Drôme) et de la Belledonne (Isère).
Contrairement à la plupart des études françaises réalisées en montagne où les troupeaux pâturent durant l’été (juin à octobre), la plupart des éleveurs de la montagne Ste Victoire pâturent le site uniquement durant le printemps (mars à juin), transhument en été dans les Alpes et stationnent en hiver dans les prés des vallées adjacentes (Durance et Arc), voire dans la vallée du Rhône. Seuls les éleveurs de chèvres et trois éleveurs ovins sont sédentaires.
Mais la caractéristique de cette montagne réside aussi dans la diversité et l’abondance des ongulés sauvages que l’on y trouve : jusqu’aux années 60, le sanglier était la seule espèce présente, et son abondance était faible ; puis l’espèce a commencé à devenir abondante, rejointe par le chevreuil dans les années 70 ; désormais, cette espèce est plus commune que le sanglier dans la montagne. D’autres espèces se sont installées depuis, spontanément ou non : en 2011, un couple de chamois s’y reproduit et dix ans plus tard l’espèce compte quelques dizaines d’individus cantonnés sur les crêtes de la montagne, vers 800-1000 m. Puis dans les années 2000, suite à la création de deux enclos de chasse d’où ils se sont échappés, s’installent des populations de daims, de cerfs élaphe, de mouflons méditerranéens et de mouflons à manchettes ; toutes ces espèces n’étant pas chassées, sauf le daim, et à terme le cerf et le chamois (demandes des sociétés de chasse) leurs populations augmentent régulièrement, notamment celle du mouflon à manchettes, espèce sans « statut », donc ni protégée ni chassable qui compte actuellement une centaine d’individus dans le massif.
La présence du loup à Ste Victoire est détectée en 2010 avec une attaque sur l’un des troupeaux de la montagne ; en effet, le site se situe sur le front de colonisation de l’espèce, dont l’apparition « officielle » en France se situe en 1992 dans le Parc National du Mercantour. Rapidement, celle-ci s’est étendue vers l’ouest dans le département du Var, puis a atteint les massifs de Ste Victoire et Ste Baume à cheval sur les Bouches-du-Rhône et le Var.
En quatre années dans le cadre du suivi Sainte-victoire, plus de 200 fèces ont été trouvées. Parmi elles plus de 100 ont été collectées avec un écouvillon placé dans un tampon conservateur avant envoi au laboratoire Argaly pour analyse. A ce jour, une cinquantaine d’échantillons de qualité satisfaisante ont permis le génotypage d’une quinzaine d’individus différents.

Deux meutes occupent le site, mais contrairement à ce qui est souvent observé, on constate un chevauchement partiel des territoires sans doute lié à la parenté entre les deux meutes, car la femelle du couple sud est issue de la meute du couple nord. Ce chevauchement explique sans doute la faible étendue des territoires observés (4000 à 6000 ha seulement).
Entre 2022 et 2024, les individus des deux couples alpha étaient les mêmes, ce qui explique les nombreuses « recaptures » de ces individus (jusqu’à 13 échantillons collectés pour un même individu). En plus de ces individus dominants et de leurs descendances, 5 autres ont été détectés sans lien de lien de parenté avec ceux des deux meutes et sont sans doute des individus en dispersion provenant d’autres meutes.  
L’espérance de vie des loups dans la nature est faible : quatre à cinq ans seulement pour les adultes, bien que des individus ayant atteint 11 ans en liberté aient été observés. Cette courte espérance de vie est due entre autres aux conflits avec des individus étrangers à la meute mais surtout aux tirs létaux autorisés par l’Etat (204 loups tués en 2024, soit 19 % de la population française), auxquels s’ajoutent les tirs non autorisés (braconnage) que diverses estimations basées sur le suivi photographique des meutes évaluent à 100-150 individus supplémentaires.
Or à Ste Victoire, les attaques sur les troupeaux sont occasionnelles et ne se produisent pas toutes les années, d’où l’absence de tirs létaux durant notre étude. Depuis l’installation du loup, en 2010, le nombre moyen de victimes déclarées est de 11 par an (8,6 indemnisées par an) pour 8 éleveurs ovins (1,4 victime déclarée/éleveur/an) avec une forte variation (0 à 37 victimes/an pour l’ensemble des éleveurs). Cette prédation réduite, sauf années particulières (2014, 2020 et 2023) peut être le reflet de plusieurs facteurs :
- la présence des troupeaux (3500 têtes environ au total) dans le territoire des meutes est réduite à 3-4 mois/an (mars-juin), sauf pour trois troupeaux sédentaires installés en périphérie des meutes ;
- le gardiennage des troupeaux est efficace avec environ 1 chien de protection pour 100 têtes : patous, bergers d’Anatolie (kangal) et mâtins portugais (Serra de Estrela) ;
- l’abondance et la diversité des ongulés sauvages qui constituent l’essentiel du régime alimentaire comme on le verra plus loin.

© Florian Poulard

 

Etude du régime alimentaire

Le régime alimentaire du loup à Ste Victoire a été étudié à partir d’un ensemble de fèces collectées, soit par analyse macroscopique des poils, soit par l’ADNe. Les deux méthodes aboutissent à des résultats similaires et mettent en évidence une prédation centrée sur les sangliers juvéniles et une prédation marginale sur les brebis.
Sur 105 proies déterminées par l’ADNe, le sanglier représente 63 % des proies, le chevreuil 21 %, le mouflon à manchettes 7 %, le cerf élaphe 5 %, le mouton 3 %, le mouflon d’Arménie et le chamois 1 % chacun. En complément, une étude mascroscopique des poils contenus dans les fèces a montré que 70 % des sangliers consommés étaient des juvéniles.

Les proies consommées par les loups de la Sainte-Victoire ne reflètent pas l’abondance et la répartition des ongulés sauvages estimées d’après le suivi par onze pièges photographiques. Sur les 14 espèces de grands et moyens mammifères (ongulés, carnivores et lagomorphes) enregistrés sur 1300 séquences vidéo, le chevreuil est l’espèce proie la plus répandue, mais n’est présent que dans 21 % des fèces. A contrario, le sanglier est l’espèce proie la plus souvent consommée par les loups. Pourtant, on observe que les compagnies, donc des groupes avec présence de jeunes (marcassins et bêtes rousses), ne sont notées que dans 4 stations sur 11, ce qui traduit une recherche active de cette proie, au détriment du chevreuil, par les loups de Ste Victoire. 
En effet, les loups méditerranéens sont de petite taille comparés aux loups d’Europe centrale et du nord et semblent chasser plus rarement en meute. A Ste Victoire, durant la période d’octobre à mars, qui correspond à la présence des louvarts accompagnant les adultes à la chasse, seulement 12 % des observations (N=141) concerne des meutes de 3 à 9 individus, tandis que 65 % des observations concernent un individu et 23 % deux individus.  Or, au cours des années d’étude, les deux meutes se sont reproduites régulièrement avec succès, produisant jusqu’à 9 louveteaux, ce qui implique que même durant l’hiver, les meutes se fractionnent souvent lorsqu’elles partent chasser. 
Conséquence de cette prédation sur le sanglier, les sociétés de chasse de la montagne attribuent à ce prédateur la baisse de l’abondance de ce gibier, ce qui reste à quantifier précisément mais qui serait de l’ordre de 50 % depuis quelques années d’après les carnets de battue du département du Var. 
Néanmoins, la remarque qui revient le plus souvent lors des entrevues avec les éleveurs et les chasseurs, malgré une relative tolérance actuelle de l’espèce, est la crainte de voir la population de loups du massif augmenter avec pour conséquence un accroissement de la prédation sur les troupeaux, une disparition du grand gibier, voire des attaques sur l’homme.
Or, les prédateurs comme le loup sont très territoriaux et si la surface exploitée par la meute peut varier en fonction de la saison ou l’année et donc selon la taille de la meute, celle-ci reste toujours relativement étendue : En Europe, le territoire des meutes varient généralement entre 10 000 et 15 000 ha, voire plus, mais en région méditerranéenne, les territoires sont souvent plus petits, de l’ordre de 7000 à 10 000 ha. 

Quand un territoire est déjà saturé, de nouvelles meutes ne peuvent donc pas s’installer en plus et la croissance du nombre d’individus sur un territoire donné est donc plafonnée.  En France, seule la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où se trouvent 80 % des meutes françaises, est à peu près entièrement colonisée par l’espèce. Dans le discours ambiant véhiculé par certains médias, il y a donc un amalgame entre l’accroissement de la population de loups en France, et l’accroissement local, dans un site donné, qui est assez rapidement saturé. 

© Florian Poulard

Pour conclure

La population de loups en France, dont la croissance  est estimée par l’OFB, ne semble plus augmenter depuis trois ans, conséquence probable des  prélèvements légaux et illégaux. La crainte de voir à Ste Victoire les grands ongulés disparaître à terme, de voir la prédation sur les troupeaux atteindre des niveaux inacceptables voire des attaques sur l’homme est donc injustifiée et reflète une mauvaise connaissance de l’écologie de l’espèce et du fonctionnement des écosystèmes en présence des grands prédateurs.

© Florian Poulard

Remerciements

Ce projet a été rendu possible grâce à un financement initial de la Fondation Prince Albert II de Monaco et du département des Bouches-du-Rhône reconduit en 2025-2026 avec la participation de l’Etat dans le cadre du Plan National d’Action.

Nous remercions les partenaires du projet :
Le Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes-Méditerranée pour l’analyse du contexte pastoral, la Fédération des Chasseurs du Var, pour le suivi par pièges-photos, l’analyse des tableaux de chasse et les comptages d’ongulés, le laboratoire Argaly (Ste Hélène du lac, Savoie) pour le génotypage et l’étude du régime alimentaire par metabarcoding et Etienne Boncourt (Feral Conseil) pour l’analyse spatiale des données. 

Enfin, merci à Gilles Rayé pour la coordination générale du projet inter-régional « METRA II »

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Plan de financement de l’étude (2025-2026)
Plan de financement de l'étude (2025-2026)

 

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